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Recourir au private equity pour financer le développement de son entreprise fait souvent frémir les entrepreneurs. « Ne vais-je pas perdre le contrôle? Ne vais-je pas être piégé par des rendements irréalistes ? Et si, malgré l’aubaine d’un financement nécessaire, le prix à payer était finalement trop important ? » Telles sont les questions légitimes que se posent les patrons en quête de financement. Mais qu’en pensent les acteurs du private equity ? Réponse avec Gilles Gramat et Jean-Pierre Créange, dirigeants de Pragma Capital, une société de gestion indépendante spécialisée dans le financement des entreprises françaises de taille moyenne.


Private equity et gouvernance : la relation humaine, entre confiance et équilibre
Dans un monde idéal, toutes les entreprises se financeraient exclusivement sur leurs fonds propres. Mais, la vie réelle est évidemment bien différente. Dans celle-ci, recourir à ses seuls fonds propres, cela signifie le plus souvent renoncer à tout projet de développement ambitieux… D’où la nécessité impérieuse de faire appel à des investisseurs. Reste que pour les patrons la décision est souvent difficile, voire douloureuse. « Je me mets parfaitement à leur place », explique Gilles Gramat, président du conseil de Pragma Capital. « Lorsque l’on a créé une entreprise, qu’on l’a portée sur les fonds baptismaux, que l’on est parvenu à la faire vivre puis à la faire grandir, on entretient avec elle des liens très forts. Lorsque des entrepreneurs se tournent vers nous, il y a toujours un moment où ils vont nous dire, explicitement ou implicitement que leur boîte, c’est un peu leur enfant. »
 
Autant dire que ces patrons tiennent à leur entreprise comme à la prunelle de leurs yeux et qu’ils n’entendent pas confier son avenir au premier venu… La confiance est donc essentielle. « Au-delà des chiffres, souligne Gille Gramat, la réussite d’une prise de participation repose sur une alchimie relationnelle. Il faut que les partenaires aient confiance l’un envers l’autre ». Car la confiance doit être réciproque : « Georges Doriot, l’un des pionniers du capital-risque affirmait qu’“une idée moyenne dans les mains d’un homme capable a beaucoup plus de valeur qu’une idée géniale entre les mains d’un homme doté de capacités moyennes”. C’est une pensée que je garde toujours à l’esprit. Pour moi comme pour mes associé de Pragma Capital, la décision d’investissement repose aussi et avant tout sur la confiance que nous plaçons dans les hommes qui dirigent les projets. Ce qui est bien naturel puisque nous allons être amenés à œuvrer ensemble de longues années », souligne Gille Gramat.
 
En effet, à la différence capital-risque, les sociétés de capital-développement investissent, elles, à moyen et long terme en participant au parcours de l’entreprise sur cinq ans ou plus. Il ne s’agit donc pas de faire un pari sans lendemain mais d’assurer l’avenir de la société. « Plus que sur une simple transaction, un investissement doit déboucher sur une relation durable entre l’entrepreneur et l’investisseur », affirme Jean-Pierre Créange, président du directoire de Pragma Capital. Une observation qui peut aussi effrayer certains patrons, peu empressés de devoir rendre des comptes, voire partager leurs prérogatives et – pourquoi ne pas dire le mot ? – leur pouvoir. Pour les professionnels du private equity, il s’agit de faire preuve de mesure. « Comme dans toute relation, soulignent-ils, la pérennité du lien repose sur l’équilibre. » Comment l’atteindre ? Certainement pas en s’appuyant sur des schémas rigides, des règles de gouvernance inflexibles ou des business plans implacables. Même s’il faut un cadre à la relation, l’équilibre se construit dans la durée et même au gré des circonstances puisque la vie d’une entreprise n’est jamais un long fleuve tranquille.
 
« En pratiquant ce métier depuis plus de 20 ans et en pilotant des investissements dans plus de 80 sociétés françaises, j’ai appris à prendre du recul et à être à l’écoute non seulement du management mais aussi de l’environnement qui, en évoluant, va impacter l’entreprise et ses projets », souligne Jean-Pierre Créange. Selon lui la capacité des investisseurs à respecter l’autonomie des dirigeants est cruciale car seule celle-ci est en mesure de garantir la réactivité de l’entreprise face aux turbulences qu’elle devra nécessairement affronter. Et de trancher : « Un investisseur qui jouerait les statues du commandeur en brandissant les business plans comme des tables de la loi serait à fuir comme la peste, parce qu’il n’aurait rien compris aux impératifs de l’économie moderne. En effet, dans un environnement en mutation accélérée, en changement permanent, seule l’agilité fait la différence, tout particulièrement pour les PME. »
 
Ce refus d’ingérence signifie-t-il que les professionnels du private equity peuvent se contenter d’attendre les bras croisés le retour sur investissement qu’ils escomptent ? En aucun cas. Pour Gilles Gramat et Jean-Pierre Créange, le bon investisseur doit aussi être un partenaire présent et disponible. « Nous participons bien sûr à la réflexion stratégique, non pour imposer des diktats, mais pour apporter à l’entreprise le bénéfice de notre expérience et de notre expertise. » Une étude réalisée voici quelques années par des chercheurs de la London School of Economics lui donne raison. Après avoir étudié plusieurs milliers d’entreprises, ils ont en effet établis que les entreprises dont le capital est en partie détenu par des fonds de Private Equity voient leur performance managériales et opérationnelles s’accroître significativement (1).
 
Cette présence n’est-elle pas pesante pour des patrons ayant de longue date dirigé seuls leur entreprise ? « Cela dépend bien sûr des caractères », concède Gilles Gramat. « Mais, poursuit-il, l’immense majorité des chefs d’entreprise est en réalité plutôt demandeuse de conseils et d’aide à la prise de décision. Nous sommes aussi des antidotes à la fameuse “solitude du dirigeant” qui, dans les PME, est loin d’être un mythe et expose les patrons à une pression qu’ils sont heureux de partager avec d’autres lorsqu’ils se sentent en confiance. » Une remarque qui vient souligner qu’au-delà des tableaux de bords et des accords formels, la réussite d’une opération de financement repose avant tout sur la qualité de la relation humaine.
 
 
(1) « Do Private Equity Owned Firms Have Better Management Practices ? », par Nick Bloom, Raffaella Sadun and John Van Reenen, Center for Economic Performance, London Scool of Economics, juillet 2009, téléchargeable librement à l’adresse suivante : http://eprints.lse.ac.uk/25482.



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