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Il suit depuis des mois un régime alimentaire très strict. Avant le grand rendez-vous, il s’isole pour prendre quelques profondes inspirations. Il se prépare mentalement, soigneusement et vérifie…son noeud de cravate. Car il n’est pas athlète de haut niveau ou coureur automobile. Il est un chef d’entreprise qui est sur le point de présider son conseil d’administration ou de rencontrer des partenaires avant de signer un gros contrat.


Esprit d’entreprise, valeurs sportives : la bonne alliance?
Tous les managers l’admettent volontiers, il y a une parenté troublante, un cousinage étroit entre le monde de l’entreprise et l’espace sportif. Ce n’est pas sans raison que Franck Riboud, patron du géant agro-alimentaire Danone passe le plus clair de ses loisirs sur un terrain de golf, où il excelle du reste. Il s’y est sans doute forgé les nerfs d’acier indispensables aux grands capitaines d’industries. Jacques Nicolet qui pilote aux destinées du groupe Altarea-Cogedim s’est passionné pour le sport automobile où sang froid et tête froide sont les vertus cardinales, au point de participer aux 24 heures du Mans et de reprendre en 2006 les rennes de l’écurie Saulnier Racing. Et ce n’est sûrement pas un hasard si Thomas Savare mène avec la même énergie les destins en apparence très éloignés de l’entreprise qu’il dirige, Oberthur Fiduciaire, et de son club de rugby, le Stade Français. On comprend mieux, dans ces conditions qu’au concours d’entrée à Polytechnique qui forme quelques-uns des plus puissants dirigeants de demain, une note trop basse en éducation physique, au concours d’entrée, soit tout bonnement éliminatoire !
 
La statistique vaudrait d’être établie : à de rares exceptions près, les dirigeants des principales entreprises françaises sont pour la plupart des sportifs passionnés et le plus souvent accomplis. Comme s’ils puisaient dans l’activité sportive, le surcroît d’énergie, de vitalité mais aussi de maîtrise qu’exigent leurs responsabilités. Sans oublier que pour certains d’entre eux, le sport agit comme un exutoire quand la pression des affaires est trop forte.
 
Au-delà des bienfaits qu’à titre individuel, la pratique d’une activité peut leur procurer, beaucoup de chefs d’entreprises trouvent dans le sport une véritable source d’inspiration managériale. Eric Jacquemet est un ancien champion de France de Jet Ski. Il est désormais « rangé des planches » et dirige le laboratoire Sarbec Cosmetics, après avoir présidé pendant plusieurs années TNT Express, l’un des géant de la messagerie express. Pourtant, c’est bien comme un skipper qu’il se définit, un leader qui entraîne les autres et sent le vent..du marché !
 
Il est vrai que celui-ci est sans répit pour les entreprises. Plus encore avec l’installation d’une crise économique profonde et durable, le temps s’éloigne où une société, bien installée sur son segment pouvait laisser filer le cours des choses et des affaires. S’éloigne aussi le modèle entrepreneurial du patron tout puissant qui dirige de haut et considère ses salariés comme des pions interchangeables. "Il existe naturellement de nombreuses analogies entre le monde de l’entreprise et les valeurs du sport de compétition : la quête de performances, l’engagement individuel et collectif, mais aussi la volonté de progresser sans cesse dans l’adversité (la concurrence). Les idéaux véhiculés par le symbolisme du sport abritent de nombreuses implications identitaires, dans ce challenge collectif qu’est l’entreprise", explique le site Indice RH, avant de rapporter l'analyse de Patrick Blum, l'actuel directeur des ressources humaines de Henkel France. Ce dernier indique en effet: "Comme dans le sport, la victoire doit être dans l’esprit d’équipe et la confiance. Si le hiérarchique assume davantage ses décisions en misant sur la réussite, les collaborateurs changeront leur comportement. En faisant confiance à leur manager, ils seront plus proactifs. Les valeurs du sport trouvent toutes leur dimension dans le management au quotidien des équipes. Par exemple, la troisième mi-temps peut se transformer en deux heures prises sur le temps de travail pour débriefer un échec ou partager un succès".
 
C’est sans doute pourquoi, passionné de rugby depuis toujours, Thomas Savare est de ces dirigeants qui se définissent avant tout comme un chef d’équipe. Il ne peut, selon lui, y avoir de réussite si les salariés ne fonctionnent pas à la manière d’un « pack »  qui fait surgir sa victoire grâce au travail, à l’échange, mais surtout grâce à la cohésion. Pour le patron d’Oberthur Fiduciaire, cette entreprise familiale fondée en 1842 et leader mondial dans l’impression des billets de banque,  la gestion quotidienne de l’entreprise passe par cette construction inlassable d’un esprit collectif dans le respect de chaque individualité, et tourné vers des objectifs mobilisateurs. Les réunions avec les collaborateurs, les rencontres avec les services, les allers-retours entre strates hiérarchiques, sont pour ce patron dynamique des mêlées, où le ballon, c'est-à-dire le cœur de métier de l’entreprise, compte davantage que les egos et les individualités. Thomas Savare a même poussé le raisonnement jusqu’au bout, puisqu’à l’inverse, il a pris en charge les destinées du Stade Français en comptant bien appliquer au ballon ovale les techniques de management qu’il utilise au sein de son entreprise. A l'évidence, le sens du défi insufflé par ce meneur hyperactif fait recette dans tous les domaines. Thomas Savare déclarait à Challenges que "l'essentiel pour un patron est de s'assurer que la stratégie est bien comprise par les équipes, et que les moyens soient à leur disposition pour atteindre les objectifs." L'hebdomadaire précisera d'ailleurs que "dans l'esprit de Thomas Savare, la règle vaut aussi bien pour les technologies de sûreté que pour le rugby."
 
Il est vrai que les frontières entre l'univers de l'entreprise et celui du rugby sont ténues, et ce n'est pas l'ancien international Abdellatif Benazzi qui le démentira. Ce dernier est en effet l'auteur de l'ouvrage "XV leçons pour manager votre équipe", édité par Maxima. De même, on pensera à l'ouvrage de Delmas, Roche et Leccia, paru chez Dunod, et intitulé "Le management à l'école du rugby". Sur ce même sujet, Thierry Lier -professeur à l'ESSEC- estime pour sa part que "mobiliser autour de vraies valeur, d’une véritable culture d’entreprise, et non autour de concepts de communication artificiels ; capitaliser sur les individus motivés et bien dans leur peau pour en faire des relais de motivation dans l’entreprise". 
 
Donner ou redonner une impulsion à un club ou à une entreprise : l’énergie est bien la même. Elle passe par la passion et surtout l’idée du collectif. Il est frappant d’ailleurs de voir à quel point –et plus encore depuis les années de crise- le vocabulaire du monde sportif a pénétré l’entreprise. On y parle de performance et de dépassement ou de « gagne », on y trouve des capitaines, et des pilotes. Et, à l’inverse, dans le même temps, l’univers du sport de haut niveau s’est laissé imprégner des gimmicks de l’entreprise. On y évoque dorénavant couramment la rationalisation d’un jeu ou le patron d’une équipe.
 
A l’évidence, ces deux mondes, celui de l’entreprise et celui du sport, ont fort à gagner à s’inspirer l’un de l’autre, dans un échange gagnant-gagnant : obtenir que chacun donne le meilleur de lui-même, dépasser les individualités pour toucher à un but commun, affronter l’échec pour en tirer les conséquences et le surmonter…autant de formules que l’on retrouve dans les feuilles de route des grands entraîneurs comme dans celles des dirigeants majeurs du monde économique. 



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